Les Romains et les autres
Histoire d'un renversement
À partir du IIIe siècle, des expéditions dévastatrices rompent l’équilibre établi entre l’Empire romain et les populations voisines. Les crises politiques et économiques n’arrangent rien. Elles donnent le beau rôle aux militaires, dont beaucoup descendent des barbares. Les frontières se brouillent. Un nouveau monde voit le jour.
« Moi, je suis un citoyen franc, mais quand je porte les armes, je suis un soldat romain. » Retrouvée à Aquincum (aujourd’hui Budapest), cette inscription latine du IVe siècle illustre toute l’ambiguïté des populations qui vivaient dans les confins du monde romain. Qui est barbare ? Qui appartient à l’Empire ? Si la frontière militarisée qui court du nord de la Grande-Bretagne jusqu’à la Mer Noire est pensée comme un mur, les lignes de démarcation ethniques semblent beaucoup moins nettes.
Entre le IIIe et le Ier siècle avant notre ère, Rome a reçu de la Grèce la notion de « barbarie », à savoir l’idée que l’altérité se définit par des différences de langue, de sang, de mœurs et de religion. Les Romains reprirent ces éléments mais insistèrent aussi sur l’inconstance et la perfidie, considérés comme les véritables marqueurs des populations allogènes. À ce titre, les Gaulois, les Carthaginois puis les Parthes apparurent comme les principaux barbares. De fait, ils étaient aussi ceux qui avaient le plus menacé la puissance de Rome.
En réalité, sur un plan juridique, c’était la possession de la citoyenneté qui déterminait l’appartenance à un monde ou à l’autre. Comme Rome distribuait assez largement ses droits civiques, même au-delà de ses frontières, beaucoup d’individus purent rejoindre symboliquement la civilisation. L’Empire sut se montrer généreux : Claude fit même entrer les notables gaulois au Sénat. À partir de l’édit de Caracalla de 212, tous les hommes libres de l’Empire bénéficièrent du statut de citoyen, ce qui radicalisa sans doute les oppositions géographiques : les barbares étaient désormais les hommes habitant de l’autre côté de la frontière, dans le barbaricum (…). L’intégralité de l’article se trouve dans Codex #13.
Par Bruno Dumézil, professeur d’histoire médiévale à Sorbonne Université